La Constitution menacée

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La Constitution menacée

 

Un pas vers la République n’est possible qu’à condition de lois qui en assurent continuellement son exercice. Elles n’ont pas besoin d’être souples : il faut qu’elles soient claires et justes. Et comme la République signifie la chose commune, cet exercice ne saurait profiter à un petit nombre au détriment des autres. L’exercice est partagé (Parlement), la souveraineté est dans le peuple et la loi est hétéronome car elle est dite, dans le chef d’œuvre du 26 août 1789, à l’article  6, « l’expression de la volonté générale ». En cela les constituants du Serment du Jeu de Paume, unis pour deux ans, jusqu’à la rédaction d’une première Constitution pour la France, ont jeté les fondements de la République : le droit du peuple à se gouverner lui-même. L’instrument est clair : il s’agit des Assemblées et, dès 1792, du suffrage universel. Les moyens sont pertinents : la destitution du Roi, du suffrage censitaire, des lois coutumières.

L’idée apparaît pour le moins raisonnable puisqu’elle traversa les époques et se retrouve aujourd’hui, comme un extrait du Contrat Social, dans l’article 2 de notre Constitution du 4 octobre 1958 : le principe de la République est « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ».

La Constitution, comme son nom l’indique, tient ensemble un corps d’éléments. Elle regroupe divers principes qui assurent la cohésion du vivre-ensemble dans la mesure où, déjà selon Aristote, elle est une propriété commune qui définit la Cité. Précisément, le lexique entend par « Constitution » l’ensemble des lois fondamentales qui établissent la forme d’un gouvernement, définissent l’organisation des pouvoirs publics et régissent les relations entre gouvernant et gouvernés. La France, sur ce point, a une spécificité qui serait presque une œuvre d’art : sa Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est au préambule de chacune des constitutions qu’elle a connues jusqu’au 18 Brumaire an VIII et qui fut réinscrite dès 1946. C’est dire que l’esprit de raison et de liberté des Lumières a souvent été condamné puis réaffirmé. Car ce qui caractérise la Constitution républicaine est de ne pas « laisser la lumière sous le boisseau » mais de servir les droits du peuple que l’exécutif, soumis au pouvoir des assemblées et du peuple, met en application. D’où la juste formule d’André Tardieu comparant le Président de la République à un « souverain captif ».

La légalité républicaine réside donc dans la forme de sa Constitution qui est comme le contenu substantiel de l’esprit du peuple dans lequel il se reconnaît et dans lequel il peut puiser sa liberté en prenant conscience de ses droits. Cela fera dire à Bernard Groethuysen que « les hommes valent ce que valent leurs droits. Ce qui fait d’un homme un homme est en même temps ce qui lui donne ses droits ». Les noyaux de l’actuelle Constitution française que sont l’égalité des droits, la République indivisible, laïcque, démocratique et sociale, la souveraineté nationale et populaire, le suffrage universel, ne sont donc pas à perdre de vue. S’ils sont souvent évoqués, il pourrait être aujourd’hui très nécessaire de les exercer.

En effet, depuis plusieurs décennies, l’impératif d’accélérer les réformes pour construire notamment la nouvelle Arcadie « Europe » fait palpiter différents juristes qui insèrent dans la doctrine juridique française un militantisme de maldroit c’est-à-dire d’intérêts contraires au droit constitutionnel républicain. L’égalité des droits, accusée d’idéalisme est jugée has been, tandis que la souveraineté populaire et nationale, dite très ringarde, donne de l’urticaire dès lors qu’elle rappelle le printemps des peuples et la Bastille. Il faut donc se résigner, ne pas être trop gourmand, et privilégier le multiple, le dissocié, l’éclaté, le fragmentaire pour « favoriser la paix ». Tout ceci, bien entendu, se faisant sous les auspices du Conseil de l’Europe. Les différentes lois sur la parité, la discrimination positive, la charte européenne de l’autonomie locale ou des langues régionales, les atteintes à la laïcité, la démocratie participative, les statistiques ethniques ou encore les lois mémorielles sont autant de nouvelles avancées qui participent d’une sérieuse régression démocratique : leur sens est anti-constitutionnel. Dès lors, quel sens donner à une destruction de la Constitution et de ses principes sinon les risques d’une dérive autoritaire ?

La question est importante dans la mesure où aujourd’hui, ce sont les mêmes qui persistent dans cette direction et soutiennent, bras dessus bras dessous, les directives européennes de concurrence libre et non faussée et de subordination de l’UE à l’OTAN sans tenir compte de l’avis des peuples. Il n’est donc pas trop fort de désigner ces méthodes comme un nouveau coup d’Etat idéologique. Ainsi le 14 juin 2006 le Parlement européen trouvait-il moyen de contourner le « non » français et hollandais de 2005, déclaré selon Giscard d’Estaing un « malentendu » et une « erreur »,  en affirmant son soutien au Traité européen et en votant l’annulation de la règle de l’unanimité. De même, courant septembre 2006, Nicolas Sarkozy confirmait-il sa relation fauve à la République en proposant au vote du Parlement d’ici à 2009 un « mini-traité » européen, comprenant les dispositions économiques du titre I de l’ancien. Le but n’est pas caché : les principes constitutionnels français doivent peu à peu s’achever.

L’on aimerait pourtant voir dans les hommes politiques des idées plus lumineuses et des pratiques plus raisonnables, de l’invention même, ne niant pas au peuple son désir et sa force de pouvoir constituant. Un sincère retour aux Lumières et à la République ne conduirait-il pas aujourd’hui à reconnaître le vote blanc en particulier et à convoquer, aussi, une Assemblée Constituante ?

Jérémy Mercier