Nicolas Hulot victime des lobbies

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Selon son aveu, Nicolas Hulot a été la victime des lobbies, dont les responsables politiques de tous bords font hypocritement mine d’ignorer la puissance et l’influence.
Je souhaite que les pourfendeurs (en parole) des lobbies fassent preuve de lucidité et de courage pour dénoncer leur rôle.
     S’agissant du lobby militaro-industriel, c’est ce que fait l’association IDN, que je préside et dont le Comité de parrainage* comprend notamment Nicolas Hulot.

   Un des premiers à avoir dénoncé le complexe militaro industriel et les risques qu’il fait courir à la démocratie est le Président américain Eisenhower dans son discours de fin de mandat (17 janvier 1961). Relisons ce passage très explicite :

   «Nous devons veiller à empêcher le complexe militaro-industriel d’acquérir une influence injustifiée dans les structures gouvernementales, qu’il l’ait ou non consciemment cherchée. Nous nous trouvons devant un risque réel, qui se maintiendra à l’avenir : qu’une concentration désastreuse de pouvoir en des mains dangereuses aille en s’affermissant. Nous devons veiller à ne jamais laisser le poids de cette association de pouvoirs mettre en danger nos libertés ou nos procédures démocratiques. »  (….)

   Cinquante ans plus tard, le complexe militaro-industriel américain semble ne jamais avoir été aussi fort et impliqué au sein même des politiques de défense des Etats-Unis, comme l’a rappelé en 2011 le sénateur républicain John Mc Cain, en dénonçant les collusions qui existent entre militaires, industriels et membres du Congrès.

   Si cette situation est pleinement reconnue au sein de la première puissance nucléaire mondiale, qu’en est-il exactement en France ? Nul ne prétendra naturellement qu’il n’existe pas un fort lobbying des industriels de l’armement. Le problème est ici qu’il s’agit de fonds publics destinés à assurer la sécurité des Français. Nous sommes donc en droit de nous interroger sur l’influence réelle de ce lobbying, en examinant certaines déclarations anciennes et certains agissements récents…

   Au début du XXème siècle, des voix se font entendre en Angleterre, aux États-Unis et en France (Jean Jaurès) pour dénoncer la connivence qui prend forme entre industriels de l’armement et responsables militaires. Il faudra cependant attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale et surtout le fameux discours du Président Eisenhower, pour que la réalité du complexe militaro-industriel (CMI) soit pleinement mise en lumière.  (….)

   Pour ce qui est de la France, Pierre Marion, ancien patron de la DGSE en 1983, décrivait cette relation militaro-industrielle en ces termes : « La classe politique n’est pas capable de contrôler le complexe militaro-industriel. Elle n’est pas capable de le ramener à sa place, celle d’un exécutant des politiques voulues par le pouvoir civil et élaborées par un processus démocratique. Elle n’ose pas le dénoncer clairement à l’opinion publique ». (….)

   Il existe également en France un organisme militaro-industriel étatique, la Direction générale de l’armement (DGA), dont le personnel est composé d’ingénieurs militaires qui font parfois des allers-retours avec le secteur privé de la défense. C’est à la DGA que s’élaborent les doctrines, que sont définis les matériels et que se préparent les budgets. Sa place dans le monde de la défense est prépondérante et cela n’a pas manqué d’être dénoncé, notamment il y a 25 ans, par l’amiral Sanguinetti : « Les armes ne sont plus étudiées et fabriquées en fonction des doctrines de défense réfléchies à l’échelon politique. Ce sont les doctrines qui sont adaptées tant bien que mal, à l’emploi des armes produites. ». Il est à craindre que cette logique soit toujours d’actualité.

   En 2002, une université d’un genre nouveau, consacrée aux problématiques militaires, nait de la volonté du député Guy Tessier, alors président de la Commission de la défense de l’Assemblée nationale. La première session de cette Université de la défense (UED) se tient à Arcachon, en septembre 2003. Comme l’indique le site internet de ce qui est devenu un rendez-vous incontournable depuis 15 ans, « l’université d’été de la Défense s’est imposée au fil du temps et de ses éditions dans les principales bases de la Défense française, comme LE rendez-vous annuel permettant de renforcer de façon privilégiée le dialogue entre les parlementaires et les décideurs politiques français et européens, les industriels de Défense, les experts stratégiques, et les hautes autorités militaires. ».

   Cette rencontre rassemble donc tous les ans des autorités ministérielles, des parlementaires, des fonctionnaires (militaires) et des « représentants du lobby économico-industriel ». Utiliser l’argument que ce cette université est « un catalyseur, un lieu où la mixité des échanges a permis à cette communauté [de défense] de germer » est étrange. De quelle mixité parle-t-on ? En effet, les ONG ne sont pas invitées et bien rares sont les universitaires présents. Par contre, on retrouve bien les mêmes acteurs industriels et représentants de Think tanks officiels dans cette université, comme dans la plupart des auditions des Commissions défense du Sénat et de l’Assemblée nationale…  (….)

   Il est compréhensible que des personnes concernées par un même sujet - parlementaires, industriels, journalistes- lient des relations. Cependant, lorsqu’il s’agit d’enjeux portant sur des milliards d’euros et sur la sécurité nationale, il n’est pas anormal de s’interroger sur l’influence que peuvent avoir ces liens dans les prises de décision politiques et sur la façon dont les informations peuvent être relayées dans la presse.

   Aussi incroyable que cela puisse paraître, depuis le début de ces universités, ce sont « les entreprises du secteur [de la défense] qui assurent la totalité de leur financement ». La 14e UED (2016) a donné lieu à des déclarations surprenantes : en particulier, six des principaux industriels du secteur de la défense ont pu ouvertement y manifester leur mécontentement  et demander publiquement à «revoir la formule actuelle, dans le sens d’une plus grande dynamique et d’une meilleure focalisation sur les problématiques de la Défense nationale, dans toutes leurs dimensions » et à « être pleinement associés à l’avenir et dès la prochaine édition à la constitution d’un programme que nous finançons dans son intégralité avec nos partenaires industriels ». Finalement cette UED « a donné aux différents lobbies de la défense l’occasion de faire valoir leurs intérêts sans que ceux-ci soient toujours en phase avec les réels besoins de sécurité du pays » …

   Dans le secteur du nucléaire militaire où les programmes se caractérisent par leur opacité, leur durée et leur coût, l’influence du complexe militaro-industriel paraît particulièrement forte. C’est ce que je suggère le Général de brigade aérienne Jean-Vincent Brisset, qui considère que « les gens qui s’opposent au désarmement nucléaire le font pour des raisons économiques, parce que le nucléaire, c’est de l’argent, de l’emploi. Le lobbying est très fort. L’arme nucléaire, les sous-marins, les avions, représentent une part importante du budget de la défense ». Evidemment, les industriels du secteur de la défense ont intérêt à la pérennité de la stratégie de dissuasion nucléaire, compte tenu de la certitude qu’elle leur donne en matière de marchés, puisque, dans ce secteur, la France s’adresse uniquement à des entreprises nationales pour des raisons de sécurité et de confidentialité. (….)

   À titre d’exemple, la Direction des constructions navales  (DCNS), qui fabrique les sous-marins nucléaires français, a acquis, grâce à ces programmes, un savoir-faire qui lui a permis d’occuper une position de leader mondial dans l’exportation des sous-marins conventionnels comme le Scorpène. DCNS en tire un argument de vente, comme en témoigne le dossier de presse de ce « sous-marin conventionnel de technologie avancée, bénéficiant des études et de la recherche faites par la France pour les sous-marins de la marine nationale ». Quant à la proximité entre politiques et industriels, elle s’affiche publiquement, comme on a pu l’entendre de la bouche de l’ancien Président de la République, Nicolas Sarkozy, déclarant en 2010 : « Je suis fier d'être l'un des membres de la direction commerciale de DCNS ».

   La question du lobbying au cœur de l’Assemblée nationale est toujours très sensible. On ne parle d’ailleurs pas de lobby mais de « représentants d’intérêts », parce que ce mot anglais est perçu de manière très négative. La création d’un répertoire numérique national des représentants d’intérêts  est une preuve à la fois  de l’existence d’un lobby et d’une prise de conscience des parlementaires. (….)

   Quant au débat parlementaire sur la dissuasion nucléaire, « il a été confisqué au profit de l'élite et des industriels » ; en effet tous les industriels concernés (Thales, Safran, Airbus, Areva TA, DCNS, MBDA) ont été consultés, mais le refus constant des rapporteurs d'auditionner des experts indépendants montre à quel point ils se désintéressaient du contexte et des finalités stratégiques des décisions relatives à l’arme nucléaire ...

   Les décisions concernant l’armement nucléaire et les systèmes d’armes qui mettent en œuvre la dissuasion, compte tenu des conséquences humanitaires catastrophiques auxquelles pourrait conduire l’emploi d’une seule de ces armes, doivent être prises dans la clarté, selon des procédures démocratiquement légitimes, en fonction des intérêts de sécurité du pays et non sur la base de considérations industrielles. Il est de ce point de vue inquiétant de constater le poids de ces considérations dans les choix actuels en matière d’armement nucléaire.

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J’ai eu l’occasion de développer ma position sur ce thème

au cours du colloque organisé par Pax Christi en mars 2018

 « Vérité &Pouvoir : quel rôle pour les lobbies ? »