Universalité de la laïcité = facteur fondamental de paix universelle

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"Universalité de la laïcité = facteur fondamental de paix universelle"

 

L’universalité est ce qui vaut pour tous les hommes, au sens large, de tous temps, au sens restreint, en un moment donné.

Le concept de laïcité et les mots (secularism, laicismo…) qui le disent semble unir là où les religions et leurs fanatiques divisent.

 

La paix peut s’entendre au moins comme absence de guerre (« paix négative » de Vicent Martínez-Guzman), au plus comme équilibre dynamique, « construction de la justice et développement des besoins humains fondamentaux » (« paix positive »).

L’équation du titre de la conférence tient toute seule. Liberté, égalité, fraternité, au sein des nations et entre les peuples. C’est beau…trop beau pour être vrai.

1. Le chaos et la guerre en pratique et en théorie

Que se passe-t-il du côté de la réalité et qu’en disent ceux qui justifient le chaos en prétendant expliquer l’ordre du monde ? Samuel Huntington croit discerner le « choc des civilisations » dans la guerre entre religions.

La mal nommée « mondialisation » est en réalité un ensemble de processus de rééquilibrages centralement politiques entre classes et entre nations. Le double empire impose son ordre chaotique. Le premier empire, la première face de l’empire, la première tête de l’aigle à deux têtes est l’empire territorial triadique (Europe, Japon, Etats-Unis) dont les Etats-Unis sont le centre de gravité et de commandement. Le second empire, imbriqué dans le premier, celui qui fascine Hardt et Negri , est l’empire réticulaire, l’empire capitaliste marchand en réseau. Il a les attributs de Dieu selon Pascal : son centre est partout et la circonférence nulle part.

L’empire territorial use de la force politico-militaire tandis que l’empire réticulaire qui lui est adossé privilégie la violence économique et monétaire. Denis Collin vient de présenter la conception traditionnelle du libéralisme, que l’on trouve chez Hobbes notamment. Aujourd’hui, les conservateurs néo-libéraux prolongent Hobbes dans une vision sécuritaire de la sécurité. Dans ses mémoires, Madame Thatcher écrit qu’elle avait demandé au parti conservateur de limiter les dépenses de l’Etat en tous domaines sauf en matière de défense . La liberté de faire fructifier les capitaux à tout prix remplace l’ancienne liberté de faire fructifier la propriété foncière. Sans que grand monde s’en émeuve, on range sous la même bannière la liberté de circulation des hommes, des marchandises, des services et des capitaux. En feignant de ne pas voir que la liberté des capitaux entrave celle des hommes et des peuples. Que l’on songe aux politique migratoires des « libéraux » ou à l’AMI (Accord Multilatéral sur l’Investissement, qui renaît sous l’avatar de l’AGCS au sein de l’OMC).

A la suite d’auteurs italiens, Denis Collin parle à bon droit de « libérisme » pour désigner cette liberté de propriétaires . Il est douteux que cette liberté de commercer soit porteuse de paix . Jean Baudrillard décrivit en quoi ce processus de mondialisation tourne le dos à l’universel. « Mondialisation et universel ne vont pas de pair, elles seraient même plutôt exclusives l’une de l’autre. La mondialisation est celle des techniques, du marché, du tourisme, de l’information. L’universalité est celles des valeurs, des droits de l’homme, de la culture, de la démocratie . » Baudrillard ajoute à la mondialisation des échanges et à l’universalité des valeurs la « singularité des formes » (langues, cultures, individus, hasard..) Et il conclut : « Et il ne reste plus, une fois l’universel disparu, que la technostructure mondiale toute puissante face aux singularités redevenues sauvages et livrées à elles-mêmes. » Son inquiétude est stimulante et excessive. L’économiste Michel Beaud oppose au terme de « mondialisation » le concept de système national-mondial hiérarchisé, qui a ma préférence. Il distingue plusieurs phases dans ce phénomène facticement contemporain et unidimensionnel.

Baudrillard a le mérite de parler de diversité des cultures plutôt que de civilisations, comme Huntington. La civilisation est un processus unique, c’est à mes yeux l’universelle humanité pratique en devenir. C’est un métasystème dont on ne saurait extirper les normes technico-économico-idéologiques.

Le choc des civilisations et une idéologie de la culture du chaos. Elle à ses doctrinaires comme Huntington, le pape Benoit XVI ou  Robert Redeker. Elle a ses praticiens comme George W Bush et bien d’autres. Cette rhétorique fausse est une stratégie vraie aux allures de prophétie autoréalisatrice.

2. Laïcité, internationalisme et paix


Rendons d’abord ici un hommage à Aristide Briand, co-auteur du fameux pacte Briand-Kellogg qui mit la guerre hors la loi (Traité signé à Paris le 27 août 1928).

En 1919 déjà, l’Organisation Internationale du Travail, dont le siège est à Genève, associe la paix et le développement : « Attendu qu’une paix universelle et durable ne peut-être fondée que sur la base de la justice sociale… ». J’entends ici par « développement » le sens que François Perroux donnait à ce terme.

Ma définition de la laïcité reprend celle d’Henri Pena-Ruiz : « La laïcité est donc une organisation assurant l’unité du peuple  pour la loi commune fondée sur la liberté et l’égalité de tous. Elle se définit par trois préoccupations indissociables : réaliser l’autonomie  intellectuelle de chacun ; assurer l’égalité de tous dans tous les registres : juridique, politique, éthique, symbolique ; promouvoir par les institutions publiques le seul intérêt commun. Attachée à la stricte séparation du privé et du public, pour un réel respect de chacun, elle met en place les conditions juridiques et sociales d’une liberté authentique, partagée par tous.  ». Je trouve restrictifs les quatre registres répertoriés. J’y ajouterais volontiers le social, ou socio-économique.

Tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.

L’internationalisme est au plan général ce que le patriotisme est au plan national. La laïcité est le facteur commun. Nous retrouvons le projet de Kant d’une confédération mondial (« Völkerbund », union des peuples). Je dis bien confédération et non pas fédération car, comme l’écrivait Kant, on ne greffe pas des peuples comme on greffe des arbres. Kant est terriblement lucide et contemporain quand il écrit : « A quelle distance de cette perfection ne sont pas les nations civilisées et surtout les nations commerçantes de l’Europe ! A quel excès d’injustice ne les voit-on pas se porter, quand elles vont découvrir des pays et des peuples étrangers ! (ce qui signifie chez elles les conquérir). L’Amérique, les pays habités par les nègres, les îles des épiceries, le Cap, etc., furent pour eux des pays sans propriétaires, parce qu’ils comptaient les habitants pour rien . »

L’Etasunien Benjamin Barber , l’Indien Amartya Sen (« prix Nobel » d’économie), le Britannique Robert Fisk , le Palestinien Edward Saïd , le Norvégien Johan Galtung , témoignent de l’universalité de la laïcité. Cela nous console de nos compatriotes déclinistes ou déclinologues qui parlent d’autant plus souvent plus souvent de « franco-français » qu’ils fréquentent peu les cultures étrangères.

Ancien conseiller diplomatique de Clinton Barber distingue les chouettes et les faucons au sein de l’administration Bush. Il relève que les pseudo-réalistes faucons baignent dans l’idéalisme et le fantasme tandis que les chouettes s’efforcent au discernement.  Pour ne pas parler des colombes qui, soit dit en passant, s’avèrent pour leurs congénères bien plus féroces que les loups ne le sont pour les leurs.

Penser la paix ne revient pas à nier les conflits mais à empêcher leurs débouchés sur la violence armée, la guerre. Distinguons la « paix négative », entendue comme l’absence de guerre, de la « paix positive  ». Réponse à la violence structurelle, la paix positive serait reliée à la construction de la justice et au développement des besoins humains fondamentaux. » « La paix est l’objectif auquel nous aspirons, qui réunit en même temps toutes les réalités et attentes. La violence est l’obstacle qui freine le plein accomplissement de la race humaine. Le conflit, qui s’exprime au sein de toutes les réalités humaines, est tenu pour la force médiatrice permanente entre la paix et la violence . »

Conclusion :


La laïcité, c’est la raison, le doute et le dialogue.

La civilisation n’est pas définissable par une religion, à l’encontre de ce que pense ou veut faire croire Huntington. La civilisation, ce n’est pas non plus la marchandisation du monde. L’humanité comporte des cultures mais une seule civilisation, l’humanité en construction, le processus de l’humanisation de l’homme. Cette civilisation est inséparable ee systèmes techno-économiques à maîtriser, à guider, à contrôler. La civilisation, c’est aussi l’usage du droit, comme l’écrit notre ami le professeur Marcelo Kohen, au lendemain des attentats du 11 septembre .

Dialogue des cultures dans le respect du droit, souci du développement au sens de François Perroux, maîtrise des armements et refus de l’ingérence, renforcement et démocratisation de l‘ONU sont quelques-unes unes des pistes possibles.

La mise en œuvre de ce programme suppose un acteur. C’est l’ensemble des peuples, l’internationalisme des nations. C’est le travail des peuples, des hommes et des femmes libres, lucides et courageux qui permet à l’équation initiale de tenir. La paix et la civilisation sont des processus d’équilibres dynamiques.

« Oser savoir » (sapere aude de Kant) est une attitude commune à la démarche scientifique et à la pratique de la laïcité. « Savoir » n’est pas « croire ». Toute conviction comporte une dose de croyance mais une dose seulement. Quand la croyance envahit la pensée individuelle ou collective, elle finit par envahir la vie réelle. Faire croire est le maître-mot des oligarques qui sont des va-t-en-guerre. Nous y opposer, c’est oser savoir et le faire savoir. Nous sommes ici pour cela, non ?

Merci.

Gabriel Galice Directeur du GIPRI (Institut International de Recherches pour la Paix à Genève)